L’intensification des villes et des villages

La densification des villes et des villages

Dans le cadre des 14e Rencontres des conseils de développement, Vincent Fouchier de la métropole d’Aix-Marseille Provence et Alexandre Faure de la métropole du Grand Paris ont animé un atelier dédié à la thématique de la densification, sujet d’actualité dans le contexte de la loi ZAN (zéro artificialisation nette). Si la loi vise à protéger les espaces naturels et à limiter l’expansion urbaine, cette démarche rencontre des résistances tant de la part des habitants que des élus. Or il est important de créer des espaces urbains de qualité, végétalisés et agréables à vivre, malgré les défis économiques comme la crise du logement et l’inflation. Comment relever le défi de la densification urbaine ? 

Retour sur la méthode de travail

Plusieurs réunions ont été organisées dans le cadre de la Coordination nationale des Conseils de développement, avec les conseils de développement des métropoles d’Aix-Marseille Provence, de Lyon, du Grand Paris et le Grand Annecy, qui ont déjà conduit des travaux sur le sujet.  Les discussions ont révélé une diversité d’approches parmi ces conseils, reflétant les défis uniques propres à chaque région. Un consensus se dessine toutefois autour de la nécessité d’une densification à la fois acceptable et désirable, ce qui implique une intégration plus poussée des opinions des habitants dans les processus de développement urbain.

Les points de convergences entre les travaux menés par les conseils de développement

Les travaux des conseils de développement présentés lors de cet atelier (Aix-Marseille Provence, Grand Annecy, Métropole de Lyon et Métropole du Grand Paris) mettent en lumière différents aspects de la densification urbaine, à partir d’approches différentes. Ils convergent vers les mêmes pistes pour assurer une densification urbaine attrayante et socialement acceptable. 

Il est crucial de ne pas se limiter à la construction de logements, mais de créer des espaces multifonctionnels qui répondent aux besoins des résidents. 

Prioriser la préservation de la biodiversité et l’intégration d’espaces verts dans les projets de densification

Encourager la mixité fonctionnelle dans les zones d’activité pour créer des quartiers dynamiques et vivants. 

Impliquer activement les résidents dans les processus de planification et de conception pour assurer que les projets répondent à leurs besoins et attentes. 

Tenir compte des spécificités locales et géographiques dans la planification de la densification.

Explorer des formes d’habitat innovantes et flexibles pour répondre aux changements futurs.

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Valérie Flicoteaux, architecte-urbaniste, vice-président du Conseil national de l’Ordre des Architectes. 

La densité urbaine, un enjeu majeur pour les architectes et le Conseil National de l’Ordre de l’Architecte, nécessite une réflexion approfondie en réponse aux crises sociales, financières et environnementales actuelles. Cette réflexion inclut la recherche d’équilibre entre le développement de l’habitat, la préservation de la biodiversité, et la protection des terres agricoles. Il est impératif de développer des solidarités interterritoriales et de promouvoir des alternatives à la maison individuelle. Ces alternatives, favorisant une densification urbaine réfléchie, sont essentielles pour améliorer l’accès aux services, encourager la mobilité douce, et augmenter la qualité de vie générale. 

François Leclercq, architecte et urbaniste, Membre du groupe de réflexion sur l’avenir des zones commerciales initié par le gouvernement 

«Il faut théoriser et penser la pénurie du sol dévolu à la ville»  

Les centres-villes denses, tels que Paris et Marseille, sont confrontés à des défis d’urbanisation en raison des îlots de chaleur et du manque de foncier. Ces villes doivent impérativement se transformer pour s’adapter au changement climatique, ce qui inclut de trouver des moyens pour se rafraîchir et se desserrer. Face à un besoin croissant en logements, estimé entre 300 000 et 500 000 par an, et une réticence des villes voisines à construire, il devient crucial de réinventer l’urbanisme. Des solutions comme la mutation de zones commerciales, la densification des zones pavillonnaires et la promotion de la mobilité résidentielle sont envisagées. En France, les logements sont sous-occupés : on estime qu’il y aurait plus de 40% de logements qui ont une pièce en trop. François Leclercq souligne l’importance de repenser la conception des logements pour les rendre plus adaptés, agréables et fonctionnels, en réponse aux évolutions du travail et des modes de vie.  

 

Comment assurer une densification urbaine attrayante et socialement acceptable ?  

Marc Reberchon, vice-président du Conseil de développement de la métropole Aix-Marseille Provence, a présenté les conclusions principales de l’avis « Comment densifier nos villes pour les rendre plus agréables à vivre ? », dont il était le rapporteur. La question centrale abordée était la suivante : Comment assurer une densification urbaine attrayante et socialement acceptable ? 

La densification, enjeu complexe, nécessite de répondre à des injonctions parfois contradictoires : besoins croissants en logements, emplois et services publics, préserver la biodiversité et les espaces naturels, lutter contre l’étalement urbain qui éloigne les populations de l’accès à l’emploi et aux services et entraine une artificialisation des sols. 

Avec une moyenne de 450 hectares de terrains consommés annuellement, la métropole Aix-Marseille Provence doit relever le défi de loger une population croissante, de développer ses entreprises et d’améliorer la mobilité, tout en préservant l’espace. 

 

Deux idées clés ressortent de l’avis du Conseil de développement : 

 

Six propositions principales sont issues de l’avis : 

 

Découvrir l’avis du conseil de développement  

Quelles sont les conditions d’une densité acceptable ? 

Cécile Martin, coprésidente de l’Espace Citoyen – Conseil de développement du Grand Annecy a présenté le travail conduit par l’instance sur le sujet. L’Espace Citoyen du Grand Annecy a traité en 2021 la question de la densification acceptable à Annecy, dans le contexte du Projet d’aménagement et de développement durable. Avec une augmentation annuelle de 2 000 habitants dans une agglomération de 200 000 personnes, située dans un cadre géographique restreint entre les montagnes, le défi de la densité est devenu un enjeu majeur. Les résidents, attirés à l’origine par la qualité de vie à Annecy, manifestent une certaine réticence à l’idée de densifier, ce qui a immédiatement suscité des controverses. 

L’Espace Citoyen du Grand Annecy a adopté une approche approfondie pour aborder cette question. Le processus a débuté par des échanges avec les élus et les services pour définir clairement la notion de densité. Une enquête a été menée auprès de ses membres pour saisir leur perception de la densité dans différents quartiers. En s’inspirant d’autres modèles, l’Espace Citoyen a cherché à adopter les meilleures pratiques. Des visites de terrain avec un expert ont été organisées pour déconstruire les clichés, en prenant exemple sur le centre historique d’Annecy, qui, malgré sa densité, demeure accueillant. 

L’Espace Citoyen du Grand Annecy a reconsidéré la question de la densité, la percevant non plus comme une source d’inquiétude, mais comme un élément du bien vivre ensemble. Pour promouvoir l’acceptation de la densification, cinq défis majeurs ont été identifiés : 

  • La qualité, avec la nécessité d’assurer des logements confortables. 

  • L’intensité, en offrant un accès facilité aux services, équipements, transports et culture. 

  • L’aménagement, en préservant les ressources naturelles et l’environnement. 

  • La mixité des fonctions. 

  • L’urbanité des espaces, en maintenant la qualité des logements et des espaces publics, en respectant les paysages, en encourageant une architecture tolérante et en permettant l’accès à des espaces naturels en ville, en réponse à la hausse des températures attendue à Annecy. 

 

L’avis de l’Espace Citoyen a reçu un excellent accueil de la commission aménagement du Grand Annecy. L’Espace Citoyen envisage de développer des initiatives pédagogiques pour poursuivre le débat et propose de co-créer une fresque sur la densité, analogue à celle de la ville, afin d’atteindre un public plus large. 

 

 

Comment construire autrement pour rendre attractive la densification? 

 

Pour la période 2022-2026, le Conseil de développement de la Métropole de Lyon s’est concentré sur trois grandes thématiques déterminées à partir des préoccupations citoyennes exprimées lors des Assemblées citoyennes. Françoise Pelorce, membre du Bureau, a exposé les travaux sur la densité de l’habitat réalisés par le groupe correspondant. 

Pour comprendre le contexte, il convient de rappeler que la Métropole de Lyon est confrontée à une augmentation rapide de sa population (15 000 habitants par an) et se heurte à des défis croissants en termes de logements, d’emplois et d’équipements. D’après les estimations, 22 000 personnes seraient mal logées, avec une offre de logements sociaux très insuffisante (1 attribution pour 9 demandes), encore aggravée par l’augmentation excessive du cout du foncier, l’inflation et la hausse des taux d’intérêt, les obligations de la loi ZAN (zéro artificialisation nette). 

La densification apparait comme une des solutions permettant de remédier, au moins partiellement, à la crise du logement, mais ce concept reste subjectif et fait l’objet de vives controverses. 

Compte-tenu de ces constats, le conseil de développement a choisi d’analyser la densification telle est qu’elle est vécue par les habitants des quartiers denses en allant directement à leur rencontre au cours d’actions telles les déambulations dans les quartiers, les rencontres territoriales, les enquêtes citoyennes sur les marchés, les rencontres des partenaires du terrain…  

Trois quartiers « denses » présentant des typologies et des historiques spécifiques ont été ciblés : 

  • Deux quartiers en politique de la ville en cours de renouvellement urbain (ANRU) qui connaissent une profonde mutation de leur structure urbaine depuis une vingtaine d’années.

  • Un quartier « nouveau », créé en 2003 sur une friche industrielle et devenu figure de « proue » du développement durable et de la smart city : densité apaisée, qualité architecturale de l’habitat, haute performance énergétique, mixité fonctionnelle et sociale… Autre spécificité : c’est aussi un quartier d’affaires qui compte plus de salariés que d’habitants (actuellement 14 000 habitants/ 17 000 salariés). 

La densité est un sujet complexe et multidimensionnel qui invite à adopter une vision globale de la ville. La densification peut prendre plusieurs formes, mais pour être acceptée, elle doit: 

  • Être adaptée aux spécificités de chaque territoire : la densification ne doit pas être imposée de manière uniforme et mieux répartie sur l’ensemble des territoires.  

  • Répondre aux besoins actuels tout en anticipant les besoins futurs pour répondre aux urgences climatiques et environnementales mais aussi des évolutions technologiques engendrant une nécessaire adaptation des modes de vies  futurs (logements, déplacements …)  

  • Offrir des compensations répondant aux attentes des habitants : conditions d’habitations agréables et confortables, aménagements d’espaces naturels, développement des mobilités douces et des transports, des équipements en services publics, des commerces dans un cadre sécurisé et de bien-être. 

  • Impliquer une réflexion sur l’avenir des quartiers densifiés en établissant un sorte de charte d’entretien et de contrôle des équipements avec les bailleurs sociaux dès la construction des immeubles permettant d’éviter la dégradation des parcs vieillisants.

Il apparait crucial d’explorer l’évolutivité et la flexibilité de l’habitat, en évaluant si construire de nouveaux bâtiments, restaurer et surélever les immeubles existants est préférable, tout en tenant compte des besoins des résidents. Il est également important d’étudier d’autres formes d’habitat  (ex : habitat participatif), d’anticiper la transformation d’immeubles de bureaux en logements … et d’être attentifs à toutes innovations. 

Dans tous les cas, la participation citoyenne doit être au cœur des réflexions, en intégrant les habitants dans les phases de conception et de suivi des projets. Les ateliers d’urbanisme publics sont un bon outil pour rassembler habitants, acteurs locaux et professionnels tout au long du projet. Pour passer de l’intention à l’action, cela implique de contraindre les promoteurs et bailleurs au respect de certains principes.  

 

Découvrir le bilan du groupe de travail

Comment apporter de la cohérence aux projets de densification ? 

Le Conseil de développement de Grand Paris a choisi de s’intéresser à la densité urbaine, menant 12 auditions avec des chercheurs et des techniciens, une dizaine d’ateliers et un questionnaire qui a reçu 250 réponses. Yann Klein, membre du Conseil de développement a présenté les principales conclusions des travaux de l’instance. 

  • La problématique n’est pas tant la densité elle-même, mais les enjeux de cohérence liés à la densification. Certaines zones très denses du Grand Paris sont bien vécues par leurs habitants grâce à leur vitalité. C’est le processus de changement qui peut créer des difficultés, tout comme la dédensification des zones déjà denses. 

  • L’évolution des perceptions de la densification : Au début, certains groupes de travail avaient une vision négative de la densification. Après plusieurs mois d’ateliers, cette vision a évolué vers un consensus, le rapport étant finalement voté à l’unanimité. Ce changement souligne l’importance d’un temps d’acculturation pour une meilleure acceptation et compréhension des enjeux. 

Le rapport du Conseil de développement met en avant quatre recommandations majeures : 

  • Favoriser la cohésion des opérations immobilières avec le quartier d’accueil par l’intégration de concepteurs de projets  

  • Prévoir des externalités positives pour chaque projet immobilier, telles que des espaces verts ou des centres médicaux, pour éviter de construire des logements sans services associés comme le commerce, les transports et les espaces verts. 

  • Réorienter substantiellement les aides vers la réhabilitation. 

  • Approfondir les mécanismes de participation citoyenne pour les projets urbains et les nouvelles constructions impliquant une densification du bâti.

Le Conseil de développement se penchera dans les prochaines semaines plus en profondeur sur cette question dans un groupe de travail dédié. 

 


Pour conclure, le regard des grands témoins 

Valérie Flicoteaux souligne que, bien que les conseils de développement aient travaillé séparément, leurs conclusions convergent. Elle observe une évolution dans le modèle de développement urbain, influencée par les crises climatiques et la nécessité de repenser les pratiques. Elle met en avant un moment crucial où la réflexion doit partir des territoires et impliquer davantage les citoyens dans les discussions. Les conseils de développement peuvent être des outils clés pour collaborer de manière plus efficace. 

François Leclercq aborde deux aspects importants : 

  • Le travail et son influence sur l’évolution des villes depuis le 19e siècle. Il souligne la nécessité de comprendre comment les changements dans la structure du travail, en particulier en lien avec la réindustrialisation, vont impacter les villes et les villages. 

  • La question de la sous-occupation des logements, comme à Saint-Malo, où une grande proportion de logements possède une pièce supplémentaire inutilisée. Il s’interroge sur les moyens de créer une mobilité résidentielle sans contraindre les résidents, évoquant le dilemme de l’utilisation optimale des mètres carrés existants. 

François Leclercq mentionne que les sujets de réflexion sont variés, allant de la construction dans les zones commerciales, adaptée aux changements de consommation, à la gestion des sous-occupations. Il encourage à poursuivre ces réflexions ensemble.