Les approches sensibles pour donner des couleurs à la démocratie intercommunale ?
À l’occasion des 14e Rencontres des conseils de développement du 14 au 15 novembre à Nancy, un atelier d’échange a été organisé sous la forme d’un regard croisé entre le C2D Grenoble Alpes métropole et le Forum de l ’Eurométropole de Lille-Kortrijk-Tournai. Cette intervention a suscité des échanges féconds avec l’ensemble des participants.
Intervenant·e·s :
Alain FAURE, Co-délégué du c2D Grenoble Alpes Métropole,
Marie-Lyne Mangili-Doucé, chargée de mission du C2D Grenoble Alpes métropole
Gérard FLAMENT, Président du Forum de l’Eurométropole Lille Kortrijk Tournai.
Le texte qui suit propose un retour sur cet atelier qui ouvre de nombreuses pistes en faveur d’une approche résolument sensible pour penser, rêver, et entrevoir différemment les territoires.
Jusque dans les arènes participatives, la tentation des passions tristes est dans l’air du temps et il faut bien reconnaitre que les colères citoyennes percutent parfois frontalement la rigueur toute scientifique des rapports techniques et chiffrés produits à l’échelon intercommunal. Dans la plénière introductive , un représentant de CESER a par exemple plaidé « l’appel à la raison » et à la science pour juguler les débordements émotionnels des controverses locales.
Mais les conseils de développement ne courent-ils pas le risque, en produisant des expertises savantes, de faire pâle doublon avec des ingénieries mieux armées, ou pire, de servir de porte-voix à des causes habilement mises en équation et en récit par des groupes d’intérêt ?
C’est en réaction à ces deux périls que Gérard Flament, Marie-Lyne Mangilli et Alain Faure ont proposé un atelier « Approches sensibles ». La rencontre a débuté par une présentation rapide d’expérimentations engagées dans cette direction par le Forum, l’assemblée citoyenne de l’Eurométropole de Lille-Kortrijk -Tournai et le Conseil de développement de Grenoble Alpes Métropole puis elle s’est prolongée par une discussion avec les 60 participants sur l’utilité et l’efficacité de ces approches.
Dans la métropole transfrontalière, le projet présenté visait à mettre des mots et des valeurs communes sur le vaste espace reliant Lille aux voisins flamands de Kortrijk et wallons de Tournai en Belgique. Une courte vidéo introductive a permis de retracer leur parcours jusqu’à l’édition d’une « carte subjective » fondée sur la collecte des expériences sensorielles des membres du groupe de travail. Le résultat montre, de façon imagée et poétique, comment le paysage émotionnel de ce vaste territoire rassemble ses habitants sur des repères subjectifs qui transcendent et rassemblent bien au delà des clivages de la langue et des frontières classiques.
A Grenoble Alpes Métropole, des « marches sensibles » ont été initiées en parallèle des saisines et des auto-saisines pour observer des tranches de vie au ras du sol. Les marcheurs étaient accompagnés à chaque fois d’un spécialiste de la question, d’une podcasteuse et d’une graphiste. Les excursions ont permis d’arpenter des espaces publics, des sites naturels, des sentiers… Les « agités du bocal » ont ensuite réalisé un travail de mise en récit avec des dessins et un podcast jusqu’à la publication en ligne de 6 opus
(Le saut du Moine ; Le RER métropolitain ; Quand la ville se fabrique sur la ville ; Sur les traces du Tram de Vizille ; A l’heure de la sortie des écoles ; Arpenter la forêt).
Pour les cartes comme pour les marches, il s’agissait d’explorer de nouvelles pistes de compréhension des territoires en interprétant le ressenti des participants. Dans les deux cas présentés, les organisateurs ont associé à leurs travaux des spécialistes et des artistes. Et sur les deux expériences, ils ont fait le pari que c’est aussi en s’imprégnant des fragilités, des fractures et des promesses du terrain que les assemblées de citoyens pouvaient éclairer les politiques publiques intercommunales.
Les échanges avec les 60 participants de l’atelier ont donné toute la mesure de ce grand défi. Plusieurs intervenants ont souligné que ces approches, qu’ils découvraient avec intérêt, suggéraient une voie intermédiaire relevant plus de la médiation que de la participation.
Un débat s’est engagé sur la possibilité d’être « pris au sérieux » avec des diagnostics de cette nature, à l’heure où les collectivités sollicitent surtout des avis techniques qui sont insérés dans des dispositifs institutionnels très normés (SCOT, PDU, PAIT…). Des inquiétudes ont été exprimées concernant le coût de ces initiatives. Plusieurs intervenants ont souligné les potentialités de la démarche pour raconter différemment les atouts du territoire à l’heure où les habitants sont gagnés par la défiance vis-à-vis des institutions et de la politique.
Pour alimenter ces questions ouvertes, Gérard Flament, Marie-Lyne Mangilli et Alain Faure ont d’abord insisté sur le constat qu’en interne, ces approches sensibles provoquaient souvent un regain de mobilisation assez réjouissant pour celles et ceux qui expérimentaient la formule. L’approche sensorielle produit de l’enthousiasme chez les bénévoles et donne du sens à leur engagement. Une deuxième vertu entrevue concerne les formats choisis pour restituer les travaux de diagnostic. Incontestablement, les dessins et les podcasts sont des outils de communication qui favorisent l’expression d’avis et de points de vue que les rapports écrits classiques ne permettent pas vraiment.
A Grenoble Alpes Métropole, l’entrée par les marches sensibles a aussi entrainé une série de propositions sur des supports originaux comme le théâtre forum, la bande dessinée et les émissions radio. Une troisième piste enfin concerne l’encadrement et le financement des approches sensibles. Malgré les apparences, les initiatives montrent des coûts relativement faibles en regard aux prestations des cabinets d’études ou des agences de communication. On s’aperçoit aussi que les membres s’investissent, en temps et en énergie, dans des proportions importantes.
A noter enfin que le rôle des chargés de mission apparait comme décisif dans ces dispositifs pour assurer la logistique des rencontres mais aussi pour mobiliser toute la chaine des professionnels qui accompagnent l’expérimentation jusqu’à la production finale.
Retour au thème de ces Rencontres nationales… Les travaux des conseils de développement embarqués dans des approches sensibles contribuent-ils à « accélérer la transition démocratique » ? L’atelier n’a formulé aucune réponse clé en main, bien sûr, mais le pas de côté proposé n’est pas inutile à l’heure un peu monochrome où la citoyenneté du nombril et les expertises surplombantes occupent tout l’espace médiatique.
A minima, la piste émotionnelle des diagnostics à fleur de peau est interpellant, énergisante et discrètement subversive. Elle donne des couleurs et du souffle aux promesses et aux espoirs formulés à l’échelon intercommunal.
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